A l'entrée à l'école, de fortes disparités langagières sont observées. Les enfants les plus vulnérables disposent souvent de moins de compétences pour comprendre et produire des discours décontextualisés. Or, il s'agit de compétences primordiales pour la réussite scolaire (Babayiğit et al., 2021). Pour pallier ces inégalités, des dispositifs d'aide ont été créés à partir des recherches sur le langage adressé à l'enfant (LAE) (Kern & Fekete, 2019). Ces recherches ont montré que les reformulations jouent un rôle fondamental sur le développement du langage (Rowe & Snow, 2020). Si l'efficacité des dispositifs d'aide est connue, les processus qui permettraient d'expliquer les progrès des enfants sont moins documentés. L'objectif de notre étude est d'analyser comment, dans un tel dispositif, les pratiques langagières des enseignant∙es soutiennent l'utilisation de variantes syntaxiques diversifiées par les enfants. Connaître leurs effets permettrait de mieux cerner les conditions d'intervention auprès des enfants vulnérables en contexte scolaire et contribuer à la formation continue des enseignant∙es.
Nous avons étudié des données recueillies au sein d'un dispositif proposé à des enfants âgés entre 3 et 6 ans. Il s'agit de lecture partagée entre un∙e enfant et un∙e enseignant∙e, formé∙e aux enjeux du LAE. Chaque enfant est enregistré deux fois. Le corpus analysé est constitué de 116 enregistrements : 42 avec des enfants de moyenne section de maternelle (MS, 3;09-4;07 ans) et 74 avec des enfants de grande section (GS, 4;09-5;07 ans).
Nous avons examiné : les reformulations de l'enseignant∙e (reprise linguistique de tout ou partie d'un énoncé de l'enfant) et les offres de l'enseignant∙e, (apport de nouveaux éléments langagiers indépendamment des énoncés antérieurs de l'enfant). Nous avons ensuite mené des analyses séquentielles d'interactions pour déterminer dans quelle mesure ces deux pratiques influencent le degré de complexité des productions subséquentes des enfants, et si cette influence varie en fonction de l'âge des enfants. Ces analyses permettent d'évaluer les dépendances potentielles entre des comportements qui se succèdent dans le temps. Il s'agit de déterminer si la présence d'un comportement source augmente la probabilité que le comportement cible se produise. Nous avons combiné ces analyses quantitatives à des analyses qualitatives de séquences interactionnelles.
Nos résultats montrent que, après une offre, les enfants de MS tendent à produire des mots isolés et ceux de GS des interjections. Les offres permettent donc la poursuite de l'activité mais ne favorisent pas l'utilisation d'énoncés longs ou complexes. Les reformulations n'ont pas d'effet sur les énoncés des enfants de MS mais elles favorisent l'emploi d'énoncés complexes chez les enfants de GS. Plus précisément, elles donnent lieu à des séquences qui aboutissent à la co-construction d'énoncés plus complexes que la production source de l'enfant.
Notre étude des processus interactionnels au sein de ce dispositif montre la manière dont les pratiques langagières des enseignant∙es peuvent contribuer à l'élaboration syntaxique des productions de l'enfant. Notre discussion portera sur la reproductibilité des gestes professionnels et la possible implémentation de ces pratiques en groupe-classe dans d'autres types d'activités.
Références :
Babayiğit, S., Roulstone, S., & Wren, Y. (2021). Linguistic comprehension and narrative skills predict reading ability : A 9-year longitudinal study. British Journal of Educational Psychology, 91(1), 148‑168.
Kern, S., & Fekete, G. (2019). De l'évaluation à l'intervention. In S. Kern (Éd.), Le développement du langage chez l'enfant : Théorie, clinique, pratique (De Boeck Supérieur, p. 233‑267).
Rowe, M. L., & Snow, C. E. (2020). Analyzing input quality along three dimensions : Interactive, linguistic, and conceptual. Journal of Child Language, 47(1), 5‑21.