Former à la littérature de témoignage, par l'expérience sensible. (Symposium : Enseignement de la littérature et sujets sensibles : quels gestes ? quelle didactique ? Pour quels apprentissages ?
Olivia Lewi  1@  
1 : Groupe de recherche sur le handicap, l'accessibilité, les pratiques éducatives et scolaires
CYU Cergy Paris université, Institut national supérieur de formation et de recherche pour l'éducation inclusive (INSEI)

Axe 1 : Des pratiques enseignantes ou de formation à l'activité de l'apprenant⋅e 

L'expérimentation que nous nous proposons d'analyser dans cette communication s'inscrit dans une réflexion plus générale sur les possibilités d'articulation des questions socialement vives avec une didactique du sensible en littérature. S'il est possible de postuler que la littérature permet d'interroger la façon dont les questions vives nous touchent, le risque demeure néanmoins qu'elle puisse n'être qu'un amplificateur de nos sensibilités sans nous permettre d'interroger véritablement ces questions sociétales.

Dans le cadre d'une séance consacrée à la construction d'un corpus multimodal autour de la littérature de témoignage (au sein d'un module de formation initiale à destination d'étudiants de Master MEEF lettres), nous avons proposé aux étudiants de passer par l'expérience d'une réception sensible et corporelle d'un extrait d'Une connaissance inutile de Charlotte Delbo afin d'envisager plus intimement les questions d'écriture touchant à l'expérience de violences extrêmes. Nous reprenons ici le triptyque d'activités scripturales déjà expérimentées avec ces mêmes étudiants (Di Rosa, Lewi, 2025; Actis, 2025) qui nous avait permis de verbaliser leurs premières appréhensions des textes fictionnels dans un module consacré à la didactique de la lecture et de l'écriture – texte fantôme (Brillant-Rannou, 2016), texte de lecteur et texte-réponse – mais en l'enrichissant d'une dimension corporelle : d'une part d'une situation d'écoute du texte lu par une comédienne puis par la proposition (facultative) de l'écriture d'un texte de lecteur en mouvement, en déambulation. Cela nous a permis de pouvoir comparer les différents textes de lecteur produits par l'ensemble des étudiants et d'analyser par le biais d'outils empruntés à la sémiotique du corps (Fontanille, 2011) ce que ces écrits de la réception (passer ou non par le corps) pouvaient nous dire de l'empreinte laissée par leur lecture et de verbaliser avec les étudiants ce qui a résonné en eux.

Dans un second temps, nous leur avons proposé de passer par une écriture créative – un texte-réponse –afin que les étudiants non seulement perçoivent, vivent mais aussi pensent la spécificité du discours testimonial, dans sa dimension foncièrement dialogique et adressée (Lewi, 2024). En effet, s'autoriser à entrer dans un dialogue avec ce texte par le biais d'une écriture créative qui engage l'étudiant-lecteur, c'est redonner toute sa place au « tu », au « vous » ainsi qu'aux voix tues et disparues dont l'autrice se veut être la porte-parole. Il s'agit également d'aller à l'encontre de l'affirmation d'un « indicible », pierre d'achoppement d'un certain nombre de réflexions critiques sur les témoignages de violences extrêmes en désacralisant la voix unique du témoin, dont la parole serait la seule autorisée.

L'analyse critique de l'expérimentation permettra notamment de questionner les résultats qui mettent en avant des différences entre les étudiants en termes de distanciation didactique selon qu'ils aient expérimenté ou non le passage par le corps (qui rappelons-le était facultatif), comme si, peut-être paradoxalement, l'expérience corporelle favorisait la réflexivité.

 

Di Rosa G., Lewi O. (à paraître 2025), Forger un espace commun du sensible à partir d'expériences de lecture, Dijon, EUD.

Fontanille J. (2011), Corps et sens, Paris, PUF.

Lewi O. (2024), Témoigner de la Shoah : des récits de vie au Mémorial, Rennes, PUR.

 

 

 


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