En lien avec l'apprentissage par problématisation, nos propres travaux (Huchet et Schmehl-Postaï, 2023), adossés à la didactique du français et de la littérature de jeunesse, essaient de penser la lecture littéraire à l'école primaire, comme une expérience d'enquête sensible et esthétique, permettant de construire de « nouveaux rapports aux savoirs, au monde, à l'altérité » (Barthes, 2017). Si une lecture peut être qualifiée de « littéraire », c'est parce qu'elle consiste pour tout lecteur à actualiser le sens du texte à partir d'un ensemble de valeurs référentielles, éthiques et esthétiques, à la fois singulières et partagées par la communauté interprétative à laquelle il appartient. Le traitement des valeurs en classe de français semble donc non seulement inévitable – car « lire, c'est [toujours] évaluer » (Dufays, 2019, §1) – mais aussi et avant tout souhaitable dans le cadre d'une éducation pluraliste au politique et à la citoyenneté en tant que ce traitement donne matière à une rencontre « individuante » qui permet à chaque l'élève de former sa sensibilité et son imaginaire. Toutefois, il ne s'agit pas de trouver dans les livres des solutions toutes trouvées à proposer aux élèves mais des exempla qui invitent à la réflexion afin d'envisager plusieurs solutions et de choisir.
De leur côté, « les éducations à » (au développement durable, à la citoyenneté, etc.), parce qu'elles sont censées prendre en charge des enjeux globaux et mondialisés – tels que la transition écologique – et parce que, de ce fait, elles se positionnent dans le champ politique, tendent justement à participer une tendance (sur)normative adoptée actuellement par l'éducation à la citoyenneté (Barthes, ibid.). Peu distanciées des pratiques sociales, et, ce faisant, peu problématisées, elles s'opposent en réalité à la visée d'une éducation critique au politique.
Notre communication prend place dans un symposium consacré aux corpus sensibles en littérature pour faire suite aux échanges de la table ronde consacrée à cette thématique lors des 25e Rencontres des chercheurs en didactique de la littérature. Notre propos visera à clarifier er d'un point épistémologique le positionnement didactique des Questions Socialement Vives (QSV) quant à ces « éducations à » et leur prise en charge possible en classe via la mise en œuvre d'écrits appropriation et de débats interprétatifs à partir de la lecture d'albums à même d'engager chaque sujet lecteur et citoyen en devenir. Il s'agira de mettre en évidence comment, à l'école primaire, le traitement des QSV invite les enseignant∙es à s'inscrire dans une perspective interdisciplinaire, qui nécessite de nouveaux savoirs et gestes professionnels pour permettre aux élèves de commencer à en saisir la complexité épistémologique, éthique et ontologique de ces questions tout en construisant le sens des albums lus en termes de compréhension et d'interprétation. Cette présentation « théorique » sera complétée d'un point de vue empirique par celle d'A. Schmehl-Postaï qui, en lien avec le cadre épistémologique ainsi posé, proposera une analyse d'albums mettant en scène des QSV et de verbatims issus de nos recherches collaboratives avec plusieurs enseignant∙es de cycles 2 et 3.
Bibliographie :
Barthes, A. (2017). Quels outils curriculaires pour des « éducations à » vers une citoyenneté politique ? Éducations, 17. https://www.openscience.fr/Numero-1-327
Dufays, J.-L. (2019). Comment évalue-t-on les textes littéraires ? Recherches & Travaux, 94. https://doi.org/10.4000/recherchestravaux.1605
Huchet, C., & Schmehl-Postaï, A. (2023). Didactique de la littérature et problèmes pernicieux en Anthropocène : La question des valeurs et les valeurs en question. Spirale - Revue de recherches en éducation, 72, 59-76. https://doi.org/10.3917/spir.072.0059