Si à propos des questions socialement vives, on préfère parfois le terme de « sensible », question sensible » ou « sujet sensible », voire l'adjectif « chaude », « question chaude », (Chauvigné et Fabre, 2021), le substitut adjectival n'a pas le même sens que dans les « approches sensibles » en didactique, (Brillant-Rannou, Sauvaire, Le Goff dir. 2023). La QSV désigne soit la complexité intrinsèque du sujet élu qui interpelle les systèmes d'éducation dans leur fonctionnement (Simmonneaux 2014), soit l'impact qu'il a sur les apprenants : impact émotionnel, perturbation des valeurs, émergence de controverses. Les approches sensibles renvoient aux pratiques enseignantes qui vont mobiliser les sensations, les affects et les émotions des apprenants, lecteurs/scripteurs de textes littéraires, afin de les inciter à une réflexivité articulant individu et collectif. Il s'agira de réfléchir à l'intérêt et l'efficacité de la mise en œuvre de telles pratiques dans la perspective d'une « éducation aux » questions vives en cours de français.
Nous proposerons l'analyse d'un dispositif didactique en formation MEEF lettres articulant texte de lecteur et world café à partir d'un corpus littéraire visant à réfléchir à la QSV du harcèlement scolaire sous sa forme verbale (moqueries, brimades, insultes, dénigrements ; Bellon et Gardette, 2010). Quand mal dire est médire. Le corpus littéraire comporte un poème « le Petit rieur » de Marceline Desbordes-Valmore, une scène des Caprices de Marianne de Musset, la nouvelle Cunégonde à la bibliothèque de Fatou Diome.
Nous verrons que certaines QSV sont particulièrement intéressantes à aborder en séance de littérature, car elles impliquent des pratiques langagières et des mises en forme littéraires. En l'occurrence, nous mettrons en relief comment ce dispositif didactique a permis de travailler sur la frontière entre satire et médisance, notamment de confronter dans une démarche problématisante les valeurs du texte à celles des étudiants, à l'instar de Michel Fabre (2021). En prolongement, la séance formative tend également à questionner la didactisation d'une maitrise de l'arme verbale, d'un discernement des usages répréhensibles de ceux recevables.
Les pratiques de formation fondées sur les approches sensibles et réflexives ne se confondent pas avec les démarches d'empathie, le « se mettre à la place », elles sont relationnelles, et informées par l'écriture littéraire afin de ne pas servir simplement de caisse de résonances émotionnelles. Elles évitent aussi une appréhension de la littérature traitant de QSV qui s'inscrirait dans le traditionnel paradigme du docere/movere/placere. C'est du cœur de l'écriture, de sa pulsation que se tissent des liens intra et intersubjectifs forgeant du commun.